Aveyron, chemins de la transhumance
LE MONDE | 21.09.05 | 16h58  •  Mis à jour le 21.09.05 | 17h20

Connu sous le nom de haut Rouergue, le nord Aveyron est un pays de transhumance.

GAMMA/DUCLOS ALEXIS

Là-haut, les maisons du hameau de Salgues ne sont encore qu'une illusion enrobée dans le coton matinal. "C'est ici que naît le brouillard." Christian Puech a arrêté son utilitaire sur le bord de la route. Histoire de profiter et d'expliquer. "La côte de Salgues n'est pas une montée, mais une frontière entre deux mondes : celui des caussenards et des montagnards."

UNE TERRE UN COUTEAU

Façonnée par les boraldes, la côte qui monte depuis Saint-Côme-d'Olt sert de transition naturelle entre la vallée du Lot et l'Aubrac volcanique, "La Montagne", comme on l'appelle ici. C'est vrai, à l'aube, la brume adoucit le changement de paysage. La rupture se fait moins violente.

Ce matin, Christian est venu inspecter une dernière fois ses vaches avant de les redescendre dans la vallée. Il y a cinq mois, la montée vers l'estive s'était déroulée dans une ambiance printanière, au rythme festif des cloches, des appareils photo et d'une foule qu'il avait fallu fendre sans écorner.

Ils étaient encore 20 000, arrivés en bus ou en camping-cars de tout le pays, aux environs du village d'Aubrac, pour admirer ces vaches aux yeux fardés. C'était au mois de mai. Dans quelques jours, dans le silence de la montagne, on reprendra la route en sens inverse. Pour Christian et quelques membres de la famille, ce seront deux jours de marche et une soixantaine de kilomètres nécessaires pour rejoindre le hameau de Fijaguet, sur la commune de Rodelle.

Connu sous le nom de haut Rouergue, le nord Aveyron est un pays de transhumance. On ne fait qu'y passer. Aux beaux jours, au milieu des troupeaux de ruminants, les pèlerins marchent vers la lointaine Saint-Jacques-de-Compostelle. Chacun flâne sur ces sentiers qui remontent au Moyen Age. La Dômerie d'Aubrac était autrefois un hôpital-refuge pour les pèlerins menacés par les bandits de grands chemins.

Seuls les pèlerins, coquillage en bandoulière, rappellent les temps anciens. S'il ne reste que peu de vestiges de cette époque, le hameau apparaît toujours comme une étonnante forteresse au coeur de la lande. Plus encore lorsque le brouillard automnal recouvre le paysage. Vers la fin du XIXe siècle, avec six établissements hôteliers et un gigantesque sanatorium, la localité, située à 1 307 m d'altitude, accueillait les Parisiens descendus suivre une cure de petit-lait et d'altitude. Il ne reste qu'un hôtel et une enseigne, Chez Germaine, où l'on déguste une fouace coupée en tranches aussi gigantesques que parfumées.

L'estive prend fin le 13 octobre : "Le jour où le froid arrive" , s'amuse Paul C., 79 printemps et une soixantaine de transhumances à son actif. Difficile à croire à le voir galoper entre les ornières de la montagne. Paul est né le sourire en coin et le bâton à la main. Pour guider ses vaches. "Le sol est sonore au coup de pied et élastique. Il faut marcher dessus lentement en souplesse" , écrivait justement l'abbé Ginisty au sujet de l'Aubrac.

Paul ne dira pas le contraire. Sur cette lande sans fin, seules les devèzes­ "Un mur de 60 cm, un barbelé vaguement soutenu par de mauvais piquets suffit à re tenir le bétail, qui cherche peu à s'évader" ­ rappellent la présence de l'homme. Mais pourquoi s'évader ? Ici, c'est le paradis des ruminants : de l'herbe à perte de vue, la fraîcheur et le vent, et aucun train à regarder.

Seule, au loin, tout là-bas, une route s'annonce derrière une rangée de pins sylvestres. Ce n'est pas suffisant pour rompre cette ellipse de silence et de verdure. Le long des pâturages, les plantes et les fleurs font un concours à celle qui aura le plus beau nom : daphné bois gentil, aconit tue-loup, oeillet des bois, pensée de montagne, dentaire pennée et calament à grandes fleurs (qui donne le thé d'Aubrac).

À chaque Aveyronnais, son couteau Laguiole. Ici, chacun en possède au moins un. Conçu en 1829 par Pierre-Jean Calmels, forgeron à Laguiole, le premier couteau local a été inspiré d'un capuchadou, la lame traditionnelle des paysans de l'Aubrac, et de la navaja, que les travailleurs saisonniers avaient rapportée de Catalogne.

Rapidement, il fit le tour de la montagne. Son acier était trempé dans la source du village, et le manche, façonné dans la corne de vache ou de boeuf de l'Aubrac. Un poinçon fut bientôt ajouté à la demande des éleveurs, avant que le couteau ne soit enrichi d'un tire-bouchon. Ce dernier répondait à la demande des bougnats partis travailler dans les cafés de la capitale.

Le couteau pliant de Laguiole est reconnaissable entre tous par l'abeille qui orne chacune de ses cornes. Depuis près de deux siècles, seule sa forme effilée continue d'évoluer.

Après avoir failli disparaître, dans les années 1960, du fait de l'industrialisation de la coutellerie de Thiers, dans le Puy-de-Dôme voisin, la production de Laguiole est aujourd'hui l'une des activités les plus importantes du nord Aveyron : il suffit de voir les cars de touristes aux portes de la ville pour s'en convaincre.

Depuis les années 1980, Philippe Starck, Sonia Rykiel, Eric Raffy et d'autres ont été mis à contribution par la Forge de Laguiole pour insuffler une nouvelle dynamique au célèbre couteau. En 2005, ce sont les créations fluos de Jean-Michel Wilmotte qui ont pris place sur les présentoirs. Le Laguiole est aujourd'hui une institution... et une marque un peu dépassée par son succès.

A VISITER : Forge de Laguiole, route de l'Aubrac, Laguiole. Tél. : 05-65-48-43-34. www.forge-de-laguiole.com / Coutellerie de Laguiole, Espace Les Cayres, Laguiole. Tél. : 05-65-51-50-14. www.laguiole.com

A LIRE : Le Laguiole, éloge du couteau , de Daniel Crozes, éd. du Rouergue, 2005.


L'ALISIER ET LE SORBIER

On en oublierait presque que certaines sont vénéneuses. Peu importe, puisque les hommes ne font ici que passer. Et encore. En 1904, 135 burons en activité étaient recensés sur la montagne aveyronnaise (contre 81 et 60 dans la Lozère et le Cantal voisins). Ces burons servaient à la fois de maison d'habitation pour le cantalès et ses hommes, de laiterie et de cave où l'on affinait lo fourmo , le fromage de Laguiole. Il ne reste aujourd'hui souvent plus que les pierres, mais, au coeur de la lande, ces vestiges évoquent toujours les traditions enfouies.

En dehors des grands axes de commerce, ce pays n'a jamais éveillé les convoitises. Quelques Sarrasins se sont bien immiscés dans les parages avant que les Anglais ne hissent leur étendard lors de la guerre de Cent Ans, mais, en dehors de ces incartades, pas grand-chose à signaler.

Peut-être parce qu'ils étaient isolés et que la terre ne suffisait pas à nourrir tous ses enfants, nombre de nord-Aveyronnais sont partis dans le Sud travailler comme scieurs de long ou sont "montés" à la capitale comme bougnats dans les caves et les celliers. De retour au pays, ces derniers ont fait construire des maisons modernes tout en béton et en angles droits, à la lisière des villages d'autrefois. Mais personne ne leur en veut, si ce n'est les touristes de passage, heurtés que l'on n'ait pas respecté l'"esprit" du paysage.

Situé à la limite de plusieurs climats, le nord Aveyron est une somme de pays singuliers qui se distinguent par leurs pierres et leurs cultures. Par la nature de leurs arbres aussi. En descendant de la montagne, les châtaigniers réapparaissent. Ils remplacent l'alisier et le sorbier des oiseleurs. Le frêne, le hêtre servent de transition. Les drailles, chemins de terre centenaires, laissent place à une route bitumée, fatigante pour les pieds des vaches, reposante pour les hommes.

En route vers Saint-Côme-d'Olt, le haut Rouergue prend des allures moyenâgeuses. Derrière les fenêtres des demeures à pignon des XVe et XVIe siècles, les retraités regardent passer les vaches. Les bovins font une halte à la fontaine du village sous le clocher vrillé de l'église. Il leur faut ensuite remonter de l'autre côté de la vallée et passer sous la coulée de lave de Roquelaure, à distance d'Espalion la belle. "Le voisin ­ s'il était là, je le lui ferais dire ­, il mettait un petit veau de 100 kilos sur le dos, et il le montait sur un kilomètre. Parfois, moi, je me serais quand même bien couché dans la banquette -l'ornière de la route-" , rappelle Paul, dont la mémoire est aussi tranchante que la lame de son couteau Laguiole.

Au second jour de marche, le trou de Bozouls et les premières maisons de grès rouge annoncent la proche arrivée. Les vaches sont éreintées, mais, à l'approche de Fijaguet, leurs pas prennent de l'envol. C'est l'automne, les feuilles ont la couleur des pierres. Et Paul Berthier de conclure : "Cette terre-là, j'y suis né. Et puis, on arrive à la fin, et je ne suis pas allé plus loin."  Mais pourquoi s'évader ?

 

 
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